L'entraide au coeur du Bien Etre
- associationenviede
- 15 nov.
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L'homme est-il naturellement bon ou bien est-il un loup pour l'homme ? La question est ancienne, et les réponses divergentes, opposées même selon les auteurs. Peut-on trouver une réponse à cette question qui peut prendre des formes différentes ?
A l'heure de la multiplication des catastrophes, tant « naturelles » qu’ industrielles, l'observation des pratiques d'entraide qui se mettent en œuvre spontanément entre les humains donne plutôt des indications porteuses d'espoir dans la capacité de l’homme à être solidaire de ses semblables, dans des élans de sympathie et de compassion. Cela peut donner envie de remettre l'entraide au cœur du bien-être, du bien vivre ensemble, sans que cette idée-perspective ne soit qu'une simple ou pure utopie.

Rappelons d'abord les termes du débat classique entre Hobbes et Rousseau. « L'Homme est-il bon par nature ? » : telle est la question au centre de cette querelle philosophique, qui reste toujours d'actualité. Il y a plus de 10 ans (hier à l'échelle d'un tel débat...), le site « jet d'encre »( « une tribune indépendante pour une pensée plurielle » ) sondait ses lecteurs avec cette « simple » question. Pour 55 % des 1241 répondants, l'homme est naturellement bon, les 45 % restant s'accordant plutôt avec Hobbes pour penser le contraire. Bien sûr, on pourrait se satisfaire de la « victoire » majoritaire des partisans de la bonté humaine ; mais la différence reste minime, et force est de constater que les opinions restent très partagées. Le sondage ne permet donc pas de clarifier vraiment la question.
Toute la difficulté, les commentateurs du débat s'accordent à le dire, provient de cette idée de « l'état de nature » dans lequel nous pourrions imaginer l'homme. Il s'agirait de saisir l'essence de la nature humaine... Alors même que par définition anthropologique, l'homme est un être social, que son existence ne aurait être comprise en dehors de cet état de vie en société qui le caractérise (comme d'ailleurs nombre d'autres espèces animales). Platon disait déjà que l'homme était un « animal politique ». L'auteur de cet article - Tristan Irchlinger – « de la nature humaine, Rousseau contre Hobbes » (https://www.jetdencre.ch/de-la-nature-humaine-rousseau-contre-hobbes-5457 ) rappelait :
« La conception hobbesienne de l’état de nature est celle d’un état de guerre de tous contre tous. La compétition pour les ressources ainsi que la multitude de passions et de désirs égoïstes et conflictuels poussent les hommes à se détruire et se subjuguer l’un l’autre. Par conséquent, sans un pouvoir capable de tous les tenir en respect, les hommes restent dans un état de lutte permanente pour leur propre conservation, où règnent la crainte et l’insécurité. Pour reprendre les mots de Hobbes, cet état est caractérisé par « la peur continuelle et la crainte d’une mort violente ; et la vie que l’homme mène est solitaire, misérable, désagréable, sauvage et brève ». »
L'ambiance intellectuelle de cette époque voulait que l'on puisse imaginer une telle fiction de « l'état de nature ». Rousseau pensait alors que Hobbes se trompait ; que l’homme était naturellement bon, mais que c'était la vie en société qui le corrompait et le rendait « mauvais » . Drôle de consolation... En est-ce une vraiment d'ailleurs ? si l'on songe que l'homme ne peut vivre qu'en société ? Son destin est-il alors de devenir irrémédiablement mauvais ?
Tout le travail d'éducation peut-il permettre de restaurer cette bonté humaine ? N’était-ce pas au fond le projet rousseauiste divulgué au travers de son ouvrage « Emile ou de l’Education» (https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89mile_ou_De_l%27%C3%A9ducation ) ? Ou suffirait-il de régler autrement les rapports sociaux entre les hommes, caractérisés selon Rousseau par l'inégalité et l'injustice, l'oppression, la tyrannie, la domination, l'exploitation, pour que tout rentre dans l'ordre naturel ? Mais alors, d'où vient le mal qui se répand dans l'ordre social existant, si ce n'est de la nature même de l'homme ? Pourquoi l'homme, animal à « l'état de nature », c'est-à-dire en fait en dehors du bien et du mal, sombre-t-il du côté du mal à l'état social ? La réponse apportée alors : « Du fait de son libre arbitre » qui le constitue comme homme … dans son essence ? On peut comprendre qu'en dépit de tout ce travail d'abstraction philosophique, on en soit encore à se poser cette question de la bonté ou non de l'homme comme composante de sa « nature sociale »?Le fait que l'on puisse juger des hommes « bons » ou « mauvais » en observant leurs comportements empiriques permet sans doute de nuancer ce jugement naturaliste d'un homme bon ou mauvais en soi ; et peut nous donner une lueur d'espoir. Il suffit que certains hommes puissent exprimer leur bonté en société pour que cela soit possible. Mais alors à quelles conditions ? Qu'est-ce qui peut les y conduire ? Quel ressort peuvent-ils trouver en eux pour que cette bonté se réalise et se manifeste ? Comment s'exprime-t-elle dans les faits ?Voilà une série de questionnements qui permet de nous ancrer dans la réalité empirique, psychologique et sociologique. Plusieurs livres peuvent nous y aider, en explorant les termes même d'expression d'une telle bonté humaine. À commencer sans doute alors par ce livre de Jacques Lecomte « la bonté humaine » qui donne en sous-titre le vocabulaire de celle-ci : « altruisme, empathie, générosité » ( https://jacqueslecomte.com/bonte-humaine/ ). C'est là l'approche d'un psychologue, nourri par les avancées de la neurobiologie. L'exemple qu'il prend en introduction, d'une jeune fille issue d‘un quartier dit « sensible » et qui se souvient de ses comportements violents dans son milieu, et qui a découvert au travers des dispositifs scolaires de « médiation entre élève », les possibilités de la gestion non-violente des conflits. Cet exemple montre que les comportements violents ne sont qu'une réponse parmi d'autres ; et ne sont pas inscrits dans notre nature. Mieux encore, ne correspondent pas aux aspirations profondes de l'être humain. Jacques Lecomte précise alors : « la neurobiologie nous apprend que notre cerveau contient des gènes de la récompense et de la satisfaction qui sont activés quand nous sommes généreux, lorsque nous faisons preuve d'empathie, ou alors encore lorsque nous coopérons avec d'autres personnes » (page 10 )Pour lui, il s'agit d'une de faire « la part des choses », ne pas nier la possibilité de violence et d’égoïsme chez les individus, mais aussi de considérer toutes les possibilités de coopération inscrites dans l'Histoire de notre espèce, et inscrites aussi nos structures mentales neurologiques. Cependant, l'auteur précise bien qu'il n’y a là aucun déterminisme naturel, ni dans un sens, ni dans l'autre. Et qu'il convient de ne pas confondre « détermination » et « prédisposition » (p.16). Jacques Lecomte explore aussi nombre de circonstances plus ou moins extrêmes ou la « bonté humaine » s'exprime « spontanément » : face aux grandes catastrophes (on y reviendra) comme lors de l'ouragan Katrina qui apparaît comme un cas emblématique, mais aussi pendant la Seconde Guerre mondiale lorsque de nombreuses personnes ont œuvré pour sauver les Juifs de la Shoah, mais aussi en considérant les cas de repentance de nombres de gangster qui pouvaient apparaître « irrécupérables » ; mais aussi encore en faisant l'inventaire et la chronique de la « bonté ordinaire » , montrant comment la gentillesse est communicative. Dans une seconde partie, il examine « les fondements de la bonté », rappelant les résultats des découvertes paléontologiques et aussi de la primatologie, qui attestent que « nous ne descendons pas d'un grand singe tueur », venant contredire les théories développées par l’éthologue Konrad Lorenz dans son livre à succès « L'agression. Une histoire naturelle du mal ». L'anthropologie est également largement mise à contribution pour montrer que de nombreux « peuples premiers », ce qui ont longtemps été appelés « sauvages » - pour dire aussi leur férocité allant jusqu'au « cannibalisme » du fait de leur défaut de civilisation … - sont en fait souvent des peuples pacifiques, cultivant la gentillesse comme les Yanomamis et pratiquant chez les « chasseurs-cueilleurs » la norme du partage.Les recherches en neurobiologie et en psychologie, montrent en fait que « l'empathie est présente dès la naissanc », que les bébés sont fondamentalement altruistes dans leur comportement, que « notre cerveau est prédisposé à l'amour, la coopération et l'empathie » .Une des branches minoritaires de l'économie - l'économie expérimentale - nous démontre que « nous sommes plus généreux que ce que l'on essaie de nous faire croire » .La lecture de cet ouvrage est donc particulièrement révélatrice de cette disposition à l'échange généreux et empathique de l'être humain ; et que cette disposition lui apporte en tant qu'individu de la satisfaction et du bien-être. Cela apparaît aussi comme une capacité adaptative sophistiquée en tant qu'espèce. Voilà qui peut fonder l'espérance que la vie communautaire puisse être le lieu d'un développement harmonieux et pacifique de notre humanité. Voilà aussi donc ce que nous devons cultiver, car comme y insiste Jacques Lecomte, cette prédisposition peut être contrariée, empêchée de s'exprimer par les conditions individuelles et sociales de l'existence.Dans ma bibliothèque, j'accumule depuis plusieurs années les livres qui indiquent un chemin pour développer « la force de la bienveillance » . J'emprunte là le sous-titre du livre - je devrais dire de la « somme » de Matthieu Ricard - son « Plaidoyer pour l'altruisme » sortie concomitamment en 2013 ; et qui vient largement conforter la thèse de Jacques Lecomte (https://www.youtube.com/watch?v=KY8B4XKMhUI ). Le mérite du livre de Matthieu Ricard tient à sa perspective bouddhiste. Dans son introduction, il rappelle son itinéraire, d'abord de formation scientifique, puis sa bifurcation spirituelle pendant de longues années qui l'ont mis en dehors des débats sociaux économiques et politiques de notre monde. Voici ce qu'il écrit : « À mon retour d’Orient, mon regard avait changé, et le monde aussi. J'étais maintenant habitué à vivre au sein d'une culture et parmi des personnes dont la priorité était de devenir de meilleurs êtres humains en transformant leur manière d'être et de penser. Les préoccupations ordinaires du gain et de la perte, du plaisir et du déplaisir, de la louange et de la critique, de la renommée et de l'anonymat, y étaient considérées comme puériles et sources des déboires. Par-dessus tout, l'amour altruiste et la compassion constituaient des vertus cardinales de toute vie humaine et se trouvaient au cœur du chemin spirituel. J'ai été, je suis toujours particulièrement inspiré par la vision bouddhiste selon laquelle chaque être humain possède en lui un potentiel inaltérable de bonté et d'épanouissement. Le monde occidental que je retrouvais, un monde où l'individualisme est apprécié comme une force et comme une vertu au point souvent de virer à l'égoïsme et au narcissisme, était d'autant plus déconcertant » page 12
Cherchant à comprendre (fruit d'une longue enquête), il constate combien nos comportements activés par nos pensées sont souvent motivés par l'égoïsme, orientation qui a, selon lui, longtemps inspiré la psychologie occidentale, les théories de l'évolution et l'économie. À cela Matthieu Ricard vient opposer « la force de l'exemple » en rappelant l'un des fondamentaux de la pratique bouddhiste : « tout pratiquant doit d'abord se transformer lui-même avant de pouvoir se mettre efficacement au service des autres ». Il rappelle aussi les enseignement du Dalaï-lama selon lesquels « si la sagesse sans compassion est aveugle, la compassion sans action est hypocrite ». Il s'appuie sur de nombreuses recherches et enquêtes dans le domaine de la psychologie qui montre que:
« Les individus qui concentrent leur existence sur la richesse, l'image, le statut social et autres valeurs matérialistes promues par la société de consommation, sont moins satisfaits de leur existence. Centrés sur eux-mêmes, ils préfèrent la compétition à la coopération, contribuent moins à l’ intérêt général et se préoccupent peu des questions écologiques. Leurs liens sociaux sont affaiblis et, s'ils comptent beaucoup de relations, ils ont moins de vrais amis. Ils manifestent moins d'empathie et de compassion à l'égard de ceux qui souffrent et ont tendance à instrumentaliser les autres selon leurs intérêts. Ils sont paradoxalement, en moins bonne santé que le reste de la population. Ce consumérisme immodéré est étroitement liée à un égocentrisme excessif »
Tout son livre se veut ainsi « un plaidoyer pour l’altruisme » qui n’est en rien un sacrifice de soi, mais la condition pour qu'à moyen et long terme notre vie soit encore possible sur cette Terre , rappelant dès le premier chapitre de cet immense livre où il cherche à définir « la nature de l'altruisme » cette sentence du philosophe stoïcien Sénèque :
« Vivre, c'est être utile aux autres ».
Un chemin est donc possible pour lui, de sorte que les pratiques nécessaires de « l'altruisme intéressé » et de « l'altruisme réciproque » par lesquels se font de la solidarité et la coopération sociétale qui permettent aux communautés de se perpétuer, soient des ponts vers « l'altruisme désintéressé », source véritable pour lui de la plénitude du bonheur humain. Ce n'est pas une simple utopie, mais une réalité empirique observable et exemplaire. Il s'agit pour lui de « construire une société plus altruiste » (titre de la dernière partie de son livre), en mettant en évidence « les vertus de la coopération », grâce à une « éducation éclairée », en « combattant des inégalités », en développant une « économie altruiste », basée sur « la simplicité volontaire et heureuse » dans le souci des « générations futures ».Dessiner un tel chemin peut apparaître utopique, mais il est l’oeuvre de tous ceux qui veulent, non seulement suivre les enseignements bouddhistes tels que rappelés par le Dalaï-lama dans nombre de ses ouvrages - et en particulier « Compassion et sagesse » https://archive.org/details/compassionetsage0000bsta , mais aussi de les ancrer dans l'action au jour le jour, guidé par la lucidité de l'esprit. Il y a là un « travail intérieur » qui est comme une infusion de l'esprit, qui nous ouvre les perspectives du Changement de Cap nécessaire. C'est ce que le Dalaï-lama rappelle dans ce livre d'entretiens lorsqu'il évoque la force de la méditation :
« En fait, je crois que le monde peut apprendre beaucoup de notre pratique ancestrale de la méditation. Cet art est compatible avec n'importe quelle croyance. Je n'ai de cesse de répéter à tous ceux que je rencontre que, si nous voulons la paix dans le monde, il faut commencer par faire la paix en nous-même. Le but de la méditation est d'ouvrir notre cœur à l'amour et à la compassion, afin d'apaiser les tourments qui le troublent […] Le bien-être matériel n'apporte à l'homme aucune satisfaction tant qu'il ne peut retrouver la quiétude de son âme. Pour mener à bien notre combat quotidien, il nous faut avoir l'esprit clair et tranquille. Les solutions s'imposeront à l'esprit si nous ne laissons pas dévorés par la haine, l'égoïsme, la jalousie ou la colère qui nous aveuglent et nous incitent à commettre des actes irréfléchis. » Page 93
C'est aussi la perspective défendue par Karen Armstrong, spécialiste reconnue des religions et ancienne religieuse catholique, dans son livre « Compassion. Manifeste révolutionnaire pour un monde meilleur » . https://compassion.inrees.com/index.php/le-livre La compassion, qui est, comme on vient de le lire, au cœur des enseignements bouddhistes, apparaît en fait ici sous la plume de Karen Armstrong, comme le carrefour même des différentes traditions religieuses et spirituelles. C'est ce qui ressort de son travail pour élaborer « une charte de la compassion » validée par des personnalités appartenant à différentes obédiences ( judaïsme, christianisme, islam, hindouisme, bouddhisme et confucianisme) pour montrer aussi comment il est possible de dépasser les querelles et les extrémismes religieux.
Encart "Charte de la compassion"
« Le précepte de compassion, au cœur de toutes les traditions religieuses, spirituelles et éthiques, nous invite à toujours traiter autrui comme nous aimerions être traités nous-mêmes. La compassion nous incite à nous engager sans relâche à soulager les souffrances d'autrui, à apprendre à ne pas nous placer au centre de toute chose et à être le capable de considérer les autres comme tout aussi important. Elle nous enseigne à reconnaître le caractère sacré de chaque être humain et à traiter autrui, sans exception, avec respect, dans un esprit de justice et d’équité. Cela implique aussi de ne jamais faire souffrir autrui, en tout temps et en toutes circonstances, que ce soit dans la sphère publique ou privée. Agir de manière violente, que ce soit par malveillance, nationalisme, colère ou égoïsme, exploiter qui que ce soit ou le priver de ses droits fondamentaux, inciter à la haine et dénigrer autrui - même nos ennemis sont autant de négations de notre condition humaine. - nous reconnaissons que nous n'avons pas toujours été capables de vivre avec compassion, et que beaucoup ont même infligé des souffrances au nom de la religion. Pour cela nous invitons solennellement tous les gens humains :
- à placer la compassion au cœur de toute éthique et de toute religion ;
- à adhérer au principe ancestral selon lequel toute interprétation des écritures qui suscite violence, haine ou mépris est illégitime ;
- à assurer que la jeunesse reçoive des informations respectueuses et authentiques sur les autres traditions, religions et cultures ;
- à encourager une approche positive de la diversité des cultures et des religions ;
- à faire preuve d'empathie, même à l'égard de ce que nous considérons comme des ennemis.
Nous devons agir de toute urgence pour que la compassion devienne une force dynamique et lumineuse qui puisse nous guider dans ce monde de plus en plus polarisé. Parce qu'elle permet de transcender l'égoïsme, la compassion peut faire tomber des barrières politiques, l'idéologie, dogmatique et religieuse. Née de la compréhension de notre profonde interdépendance, la compassion est essentielle si l'on veut parvenir à un monde plus humain. Elle est la voie vers l'illumination et se révèle indispensable à la création d'une économie plus juste et d'une communauté globale harmonieuse et pacifique.
Diffusée le 12 octobre 2009
Son livre est construit comme une comme un programme en 12 étapes de conversion à la compassion afin que cette disposition disponible en nous puisse s’ancrer profondément sous forme de pratiques d'être, de Bien Etre. Elle conclut ainsi son introduction : « si vous suivez le programme pas à pas, vous allez découvrir que vous commencez à voir le monde, vous-même et sous un éclairage différent » . On pourrait rapprocher cette intention de ce que le philosophe Abdenour Bidar appelle le « Triple Lien » (https://shs.cairn.info/revue-revue-quart-monde-2017-1-page-60?lang=fr )
Peut-être assistons-nous à un basculement ? C'est l'idée que défend Richard David Precht dans un autre livre intitulé « L’art de ne pas être égoïste. Pour une éthique responsable » . L'auteur rappelle en introduction la sortie en 1976 (il y a bientôt 50 ans) du livre de Joseph Kirchner « L'art d'être égoïste », dont il prend le contre-pied avec son propre livre. Pour Kirchner les maux de la société qu’il pouvait observer alors, provenaient du fait que les individus ne poursuivaient pas assez la voie de leur réalisation personnelle, et qu'il convenait qu'ils pensent davantage à eux-mêmes. Un tel message peut apparaître aujourd'hui à la plupart d'entre nous, inconvenant, et pourtant, n’est ce pas lui qui a inspiré d’un certaine manière la voie du « développement personnel » centré sur l’individu (à ne pas confondre avec la voie de l’évolution spirituelle.
Mais cela apparait comme la manifestation d'un retournement d'opinion, même si nos pratiques dominantes ne sont pas à la hauteur de cette nouvelle orientation de la pensée et continuent de conduire le monde dans un son auto-destruction, à rendre cette terre invivable pour de plus en plus nombreuses espèces animales (et la nôtre parmi elles à terme). Richard David Precht rappelle que l'établissement de l'origine de notre « nature humaine » a évolué dans le temps. À l'époque de Saint Thomas d'Aquin, c'était Dieu ; puis à l'époque des Lumières, la raison ; et puis aujourd'hui à l'heure du succès des neurosciences, nos gènes responsables de notre câblage psychologique élaboré dans la nuit des temps. « Tout se passe aujourd'hui comme si la morale était du ressort de la biologie. »Cependant, force est de constater que nos élans moraux sont multiples, variés, fluctuants, allant de l'égoïsme à l’altruisme selon les circonstances, les contextes ; et que la science elle-même paraît incline à varier ses appréciations. Il semble que nous passions d'une approche vantant le « Gène égoïste » de Richard Dawkins (1976) inspiré des premiers écrits de l'inventeur de la sociobiologie (A.O Wilson) https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_G%C3%A8ne_%C3%A9go%C3%AFste . Vision jugée aujourd'hui simplificatrice, anthropomorphique, réductionniste et pratiquement « religieuse » développant une » mystique du gène » . Richard David Precht montre que dans le discours «de nombreux biologistes, psychologues et comportementalistes, nous serions maintenant des êtres plutôt gentils et coopératifs ». Pourtant, il s'interroge sur pourquoi le monde va-t-il si mal, si nous sommes pétris de bonnes intentions? Une reprise de la question sans fin de l'origine du mal…Après avoir cherché dans une première partie « l'essence et les règles fondamentales de notre comportement moral » et constaté dans une deuxième partie la manifestation déconcertante de l'écart entre le programme de la morale (nos louables intentions) ( le vouloir) et nos réalisations, ce que nous mettons en œuvre (le pouvoir faire), l'auteur cherche des voies possibles de réformes institutionnelles favorisant le « Bien Etre » . Reprenant l’image du « tapis de course du bonheur » (« Hedonic treadmill ») un concept développé par le psychologue Philip Buckman, qui est une transposition du syndrome de la Reine Rouge de Lewis Carroll dans « De l'autre côté du miroir » et qui oblige à courir pour rester sur place (https://sciencepost.fr/theorie-de-la-reine-rouge-hypothese-evolution-concept/ ), Richard David Precht pose toute une série de questions qu'on devrait garder à l'esprit pour sortir de la course à la croissance matérielle :
- Pourquoi mesurons-nous mal notre bien-être (en pensant qu'au PIB parenthèses ?
- Comment réussir à faire la différence entre nos besoins réels et nos appétits ?
- Sommes-nous condamnés à la croissance à tout prix ?
- Si plus de croissance ne nous procure pas plus de bonheur pourquoi ne parvenons-nous pas à changer de cap ?
Toutes ces questions le conduisent à ce qu'il appelle « le retour de la vertu » : le civisme.
Mais comment l'encourager ? La désagrégation de l'Etat-providence, à laquelle nous assistons - un Etat dans lequel chacun attend du système un soutien, est peut-être l'occasion d'une réflexion sur la manière de régénérer « l'engagement social des citoyens » :
« Une vie accomplie aujourd'hui et à l'avenir, en revanche, pourrait justement consister à se libérer considérablement des contraintes et des excès liés à la course à la prospérité, pour façonner sa vie de manière plus libre et plus sociale. Le nouveau monde du travail montre que le nombre de ceux qui travaillent en tant qu'employés va avoir tendance à diminuer, et le nombre de travailleurs indépendants à augmenter. La liberté grandit, mais au dépend de la sécurité sociale garantie par l'État. Celui qui souhaite vivre en toute sécurité au niveau social doit dorénavant se créer cette sécurité à renfort d'imagination et de qualités relationnelles : grâce à des réseaux privés d'amis, de connaissances et de semblables. Tout cela non pas parce que l'État doit se retirer de certains domaines mais parce qu'on peut à peine imaginer comment il pourra encore maintenir ses prestations sociales dans 20 ou 30 ans en raison de l'évolution démographique - même si tous les gros salaires de l'Allemagne payaient un taux d'imposition maximale de 80 %. » Page 389
L'auteur montre alors comment tout cela se conjugue avec une résistance contre ce développement contre l'Europe du commerce ; et cherchant à promouvoir à l'échelle des communes une reprise en main de leur destinée sociale. L’idée est que se structure un véritable fonctionnement démocratique local. Pour clôre son livre où le chemin va de d'interrogation sur les sources biologiques et culturelles de la morale de notre complexe psychologique « égoïste-altruiste », à la réforme des institutions socio-politiques, Precht en appelle à « plus de responsabilité individuelle » et « à créer un patriotisme social que beaucoup d'entre nous ont perdu » .Cette dernière disposition ( du patriotisme social ou de l’engagement social citoyen) pourrait être mieux nommé « entraide ».
En reprenant à la fois l’enseignement du Dalaï-lama qui appelle à une « compassion véritable » c’est-à-dire qui se traduise en action, et les enseignements des neurosciences qui montrent comment la compassion s’inscrit dans des dispositions qui structurent ce que l’on appelait du temps d’Adam Smith des « sentiments moraux » orientant les échanges humains (l’économie au sens large de la sociabilité), on comprend que ce que l’on appelle aujourd’hui l’entraide constitue la ligne de front d’une régénération du lien social vital à la survie de nos sociétés. Il s’agit bien de dépasser simplement une vision caritative , où ceux qui sont protégés ou privilégiés, viennent en aide (par compassion-charité) à ceux qui sont dans le besoin, la détresse, la souffrance, le dénuement… ; pour développer une véritable solidarité mutuelle, rappelant chacun à sa vulnérabilité à un moment ou à un autre, et fondant le principe de réalité que nous avons tous besoin les uns des autres. Voilà qui nous amène à cette dernière partie de ce long article. Dans leur livre à succès, Pablo Servigne et Gauthier Chapelle « l'entraide. L'autre loi de la jungle » reprenaient la thèse du géographe et penseur anarchiste Kropotkine « L’entraide , un facteur de l'évolution » datant de 1902, lui-même interpellé par une conférence faite par un zoologiste - le professeur Kessler - « la loi de l'aide mutuelle » …en 1880. Idée déjà présente en fait chez Darwin lui-même dans son travail sur l'évolution des espèces souvent réduit malheureusement à la seule thèse de « la lutte pour la vie ». Aide au cœur de nos existences sociales et comme condition même de notre évolution sociétale, vient de loin ou plutôt revient de loin. La présentation du livre de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle le rappelle bien:
« Dans cette arène impitoyable qu’est la vie, nous sommes tous soumis à la « loi du plus fort », la loi de la jungle… Cette mythologie a fait émerger une société devenue toxique pour notre génération et pour notre planète. Aujourd’hui, les lignes bougent. Un nombre croissant de nouveaux mouvements, auteurs ou modes d’organisation battent en brèche cette vision biaisée du monde et font revivre des mots jugés désuets comme « altruisme », « coopération », « solidarité » ou « bonté ». Notre époque redécouvre avec émerveillement que dans cette fameuse jungle il flotte aussi un entêtant parfum d’entraide… »Les deux auteurs précisent d’emblée :
"Ce livre est né de l’idée d’explorer les conditions d’émergence des comportements d’entraide. À l’étincelle de départ – une curiosité scientifique qui date de plus de dix ans – s’est récemment ajouté un élan pour contacter une autre mythologie, enrichir un autre imaginaire, raconter de belles histoires bien enracinées dans l’évolution du vivant, avec le souci de minimiser les dégâts de cette spirale d’autodestruction et de violence, et, pourquoi pas, de contribuer à favoriser une spirale vertueuse. Nous ne sommes ni les seuls ni les premiers à penser l’entraide. Ces dernières années, les articles scientifiques sur ce sujet se sont enchaînés à un rythme effréné. Mais ils restent malheureusement relativement inaccessibles au grand public et rares dans les cursus scolaires. Il en va de même pour la longue filiation intellectuelle philosophique et religieuse qui remonte à l’Antiquité et prend une dimension véritablement scientifique au XIXe siècle sous la plume, entre autres, du naturaliste Charles Darwin, du sociologue Alfred Victor Espinas, du géographe Pierre Kropotkine ou encore de l’anthropologue Marcel Mauss. Qu’on ne s’y trompe pas : les héritiers de ces idées « naïves » sont nombreux. On pense au mouvement du MAUSS, lancé en 1981 par Alain Caillé et qui aujourd’hui regroupe un grand panel d’intellectuels sous la bannière (très stimulante !) du convivialisme . On pense aussi au tour d’horizon naturaliste de Jean-Marie Pelt (La Solidarité chez les plantes, les animaux, les humains, 2004), ainsi qu’aux monumentales synthèses de Jacques Lecomte (La Bonté humaine, 2012), de Matthieu Ricard (Plaidoyer pour l’altruisme, 2013) et de Pierre Dardot et Christian Laval (Communs, 2014). Philosophes, managers, écologues, économistes, anthropologues ou sociologues se démènent pour remettre sur le devant de la scène des notions aussi démodées et ringardes que l’altruisme , la bonté , la gentillesse , l’association , l’égalité , les communs , l’empathie ou la solidarité." L’entraide. l’autre loi de la jungle, Pablo Servigne & Gauthier Chapelle,
Ce premier livre qui faisait suite au livre « Comment tout peut s'effondrer » écrit avec Raphaël Stevens (https://fr.wikipedia.org/wiki/Comment_tout_peut_s%27effondrer 2015) mettant sur le devant de la scène la « collapsologie » (science des effondrements civilisationnels) est aujourd'hui prolongé par un nouveau livre « Le réseau des tempêtes. Manifeste pour une entraide populaire » qui fait l'objet d'une grande campagne promotionnelle à laquelle le mouvement adaptation radicale a participé (https://www.youtube.com/watch?v=orT8xUQzBP4 ). Ce livre est pour Pablo Servigne une recherche d'articulation de ses ouvrages précédents entre la question de l'entraide et celle des effondrements. Il s'agit d'un manifeste à portée politique, examinant les conditions théoriques de fonctionnement de l'entraide. Si celle-ci se met assez spontanément en action lors des catastrophes, elle ne constitue pas encore le mode ordinaire dominant dans nos sociétés régies par la concurrence, la compétition et l'individualisme selon le syndrome de la Reine Rouge. La question qui devient une question d'actualité est celle de comment faire pour que les réseaux locaux d'entraide se structurent et constituent la trame de nos relations sociales ordinaires permettant de se préparer et de faire face aux « tempêtes » à venir. Nous en sommes là. Des structures d’entraide existent déjà ; on peut penser aux Systèmes d'Echange Locaux (SEL) et leurs dérivés, au réseau Solaris (https://solaris-france.org/ ) organisé en cellules locales plus ou moins actives aujourd’hui. Chaque structure possède sa logique sa perception de la nature des échanges à instituer parfois contrastée sinon opposée... Comment articuler celles-ci de telle sorte que des liens soient soit faits entre elles, allant s’élargissant, pour une régénération d'une vie sociale plus solidaire, plus robuste, plus simple, plus joyeuse permettant un « Bien Etre » partagé.
Pour conclure : souvenons-nous que cette belle expression « réseau des tempêtes » a été forgée par Joanna Macy (décédée au mois de juillet 2025) initiatrice aussi du Travail qui Relie , un élan permettant aux hommes et aux femmes de se relier pour réussir le changement de cap nécessaire à l'ensemble du vivant (https://reporterre.net/Joanna-Macy-celle-qui-a-cherche-des-antidotes-a-l-ecoanxiete )






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