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Méditation permaculturelle du temps

Dernière mise à jour : 27 nov.

Ce texte peut se lire comme le prolongement, l'actualisation d'un autre texte plus ancien, du début de ce blog. : « vivre le moment présent » . À l'époque, il y a déjà 6 ans… difficile de ne pas considérer cette question du « moment  présent », si prenante dans la pratique de la méditation, scandée  souvent par cette instruction de base : « observez avec attention, instant après instant, le mouvement de votre respiration ». Pourtant, déjà, je soulignais, en faisant référence à l'approche phénoménologique, l'épaisseur du «  moment présent », s'exprimant dans ce que Bergson appelait  la durée ; et constituant le flux même de la vie selon « L’évolution créatrice », son ancrage fondamental dans ce que Spinoza appelait  le « conatus », cette disposition intrinsèque à se préserver dans son être. À l'heure de l'annonce d'effondrements possibles de nos conditions actuelles d'existence, liés entre autres au réchauffement climatique, comment vivre dans le seul moment présent ? C'est ce que ce nouveau texte se propose d'examiner pas à pas.


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Ce matin, en guise de méditation, je plongeais dans le livre collectif "L'art de vivre au présent" rassemblant les textes de plusieurs penseurs philosophes théologiens dont André Comte Sponville, qui défend une spiritualité athée. Je n'avais pas encore lu ce livre, trouvé à la bourse des livres de l'école Diwan (bretonne) (4 euros le kilo de livres...). Là j'en avais pour 200 grammes... ;-)

Dans un texte d'interview,  "Le présent du monde", André Comte Sponville me plongeait dans une longue lignée de la pensée du temps ; avec comme l'un des points d'entrée classique le chapitre 11 des Confessions de St Augustin, dans lequel  il nous dit que le temps on le connait et on ne le connait pas. Aujourd’hui encore le temps reste mystérieux, au point de possiblement ne pas exister vraiment, sinon pour nous, comme une mesure de notre ignorance de l'univers, lié intrinséquement à notre finitude... Le présent serait une illusion locale dans laquelle nous serions enfermés… (Carlo Rovelli, « le temps n’existe pas » )… Quels  raccourcis incompréhensibles sans doute... Des « trous de vers » ?

Mais cette lecture méditative se poursuivait de manière moins métaphysique, avec l'effort de Comte Sponville pour  concilier la pensée de l'Avenir de Montaigne avec celle de l'Eternité de Spinoza... quel grand écart, douloureux au début sans doute… (mais qui permet de cultiver la joie de ce que le corps peut et ne peut pas (et le sait-on vraiment à suivre Spinoza ?) )

Ce début de texte reste, je le sens bien, un peu ésotérique, mais l'essentiel qu’il vise à transmettre ainsi, est sans doute cet éclair, ce saisissement dont il cherche à rendre compte, qui était au coeur de cette pensée méditative, contemplative, quant à la nature "permaculturelle" du temps, et en particulier de l'avenir, dont ma « méditation »  me donnait l’intuition.

Ma manière de dire le "travail intérieur" mis en oeuvre dans ce temps de présence à l'esprit philosophant-méditant, et qui me conduisait à considérer nos rapports possibles à l'avenir.

L’axe de ces considérations  se situait alors dans la pensée du mouvement de l'Adaptation Radicale, (mouvement dans lequel  j’inscrit ma réflexion et mon action) qui vise  à concevoir des réponses aux processus d’effondrements pensés comme inéluctables. Cette orientation se définit en effet dans un rapport au temps, qui veut suivre les indications de la science, telle qu’elle peut  s'exprimer dans les rapports du GIEC. Dans cette entreprise, il s'agit bien de mesurer toutes sortes de phénomènes dans leurs manifestations et expressions passées, pour les comprendre dans leurs interactions systémiques, explicatives des évolutions à venir du climat, dans l’affirmation objective des relations causales. Bref il s'agit de dégager des lois d'évolution susceptibles  de décrire non simplement le passé, mais l'avenir. Y compris dans la compréhension de l'existence de "tipping point" (points de basculement)( Nathanaël Wallenhorst, « 2049. Ce que le climat va fire à l’Europe »), introduisant de l'incertitude dans des trajectoires déterministes. On sait que cela devrait basculer, mais sans savoir, ni vraiment quand, ni vraiment comment précisément, du fait que le seuil est peut-être ou non déjà franchi, sans qu'on puisse le savoir-mesurer...Seul l'avenir peut-pourra le révéler.. Inquiétant, d'une certaine manière, comme chaque pas que nous faisons sur une planche en équilibre, et qui peut basculer dans le vide...


Mais le temps dans tout cela ? et le temps présent ?

La focalisation sur le "temps présent" apparait souvent comme une antienne des attitudes spirituelles voire mystiques, même si elles plongent dans le fond philosophique (antique) de notre civilisation (que ce soit avec les stoïciens et les épicuriens qui savaient ne pas être d'accords entre eux...) . La longue imprégnation et compréhension du possible et de l'impossible, de ce qui est en notre puissance et ce qui ne l'est pas, à laquelle invite la pensée stoïcienne, permet cet ethos de ce que j’appelle une « permaculture du temps ». Toute la connaissance transmise par l'expérience, que cela soit la sienne propre ou celle des anciens et des maîtres , formulée dans les manuels, constitue en même temps une anticipation des événements qui peuvent nous affecter, et leur pleine acceptation dans le présent même de leur réalisation. C'est tout le réel de notre vulnérabilité, de notre mortalité qui se révèle à nous comme la trame de notre existence propre au quotidien,.

Comte Sponville, en ligne avec son approche laïque, plaide pour une "présence" sans transcendance, sans foi et sans religion. Il met aussi en évidence qu'à chaque époque, il nous faut penser cette présence selon des termes différents. Quelle peut être l'actualité de ce thème du "temps présent" pour l'homme de notre temps ? ce temps de l'annonce des catastrophes, des effondrements, qui peuvent apparaitre à certain comme des prophéties de malheur, mais qui semblent bien inscrits dans les travaux des scientifiques se penchant sur la compréhension des phénomènes du changement climatique ?


« C'est un thème qui vaut bien sûr pour tous les temps : à toutes les époques il a fallu le présent, habiter le monde, être présent à la présence. Les stoïciens, dans l'Antiquité, ont dit là-dessus des choses fortes. Mais ce thème, chaque époque doit bien entendu le vivre et le penser à sa façon. Or, je dirais volontiers qu'aujourd'hui le thème de la présence est à la fois inactuel et urgent. Disons qu'il est intempestif. Pourquoi inactuel ? Parce que tout nous pousse à habiter l'avenir plutôt que le présent. Depuis le travail jusqu'à la consommation, ce n'est qu'une fuite en avant perpétuelle, où  le bonheur est toujours pour demain. Il faut aller de l’avant comme on dit, anticiper, se préparer à l'avenir… et chacun court ainsi après sa propre mort. Être présent à la présence, ce serait plutôt apprendre à s'arrêter parfois, à regarder le temps passer, à contempler ce qui est plutôt qu'à imaginer ce qui sera... C'est pourquoi il est urgent de revenir à la présence : parce qu'il est urgent de revenir à l'être, au réel, à ce que j'appellerais « le présent du monde »  -  au double sens du mot « présent »  , qui désigne à la fois ce qui est actuel  et ce qui est donné, la présence et  le cadeau. Et bien voilà : le plus beau cadeau, c'est la présence elle-même. »

Ce texte, au coeur de ma méditation, a eu un effet de révélation. J’ai  fait  soudain le pont , entre d’une part « notre » préoccupation (collective, Adaptation Radicale, les scientifiques...)  de l'avenir qui s'exprime dans la conscience (au sens ici de quasi certitude) des processus d'effondrements à l'oeuvre, et qui nous projette dans le temps des « tempêtes », et d’autre part l'absence d'éco-anxiété en moi, dans mon "for interior" qui depuis longtemps m'interroge ... Est-ce un déni, une insensibilité ou autre chose, un peu mystérieuse ou inconséquente ? ou  juste une éco-lucidité conséquente ? Mais qu'est-ce à dire ? ou plutôt comment le dire autrement pour le comprendre véritablement ?

C'est cette référence- image que Comte Sponville fait à cette tension qui nous projette dans l'avenir, "pour aller de l'avant" qui m'interpelle, et qui est chez lui un appel à ralentir, s'arrêter, contempler, "être présent à la présence". Faudrait-il cesser de se préoccuper des temps à venir ? comment le faire  ? Ne serait-ce pas là folie inconséquente, une autre manière de parler du "déni", de refuser de voir ce qui est, au sens de ce qui contient l'avenir. Le potentiel destructeur du moment présent dans son déploiement inéluctable ?


"La maison brûle et nous regardons ailleurs"...


Comment ne pas imaginer ce qui vient ? ce qui est appelé à advenir et qui nous menace dans notre existence même ? Comment ne pas avoir peur ?

Et pourtant je n'ai pas vraiment peur... non pas que je ne vois pas, non pas que je ne sois pas convaincu de ce qui advient... Ais-je maitrisé ma peur ? fait un effort pour la traverser ? Comment est-ce possible ? comment ais-je fait ? l'ais-je seulement voulu, contrôlé ? Non je ne pense pas...

A la réflexion, il m'apparait que c'est sans doute le résultat d'un chemin, d'un chemin de vie, engagé depuis des années, et qui se confond aujourd'hui tout à la fois avec la pratique quotidienne de la méditation formelle, l'ancrage dans mon éco-lieu de vie selon un "design" permaculturel dans son sens le plus large (qui constitue d'une certaine manière la dimension informelle de la méditation - j'y reviendrais ), et l'engagement dans l'action au quotidien, au jour le jour, selon une attention et une intention contenues dans l'idée de construire, sans l'imaginer vraiment comme un futur, le futur dans le modelage du présent et son accommodement. C'est comme un tissage : passer le fil selon un modèle qui est là présent en soi, fil après fil, pour que le dessin se forme dans la présence au présent. Un tissage s’ajustant à la trame perturbée des saisons.

D'une certaine manière, le souci du futur, s'est mué imperceptiblement en souci du présent, de "la subsistance au quotidien" (pour reprendre ici le titre du dernier livre de l'éthnologue Geneviève Pruvost, qui montre comment au jour le jour, Florian et Myriam, le couple "alternatif" chez qui elle vit en observation participante, produise leur existence par l'accomplissement de ce qu'il y a "à faire", dans l'attention et l'ajustement aux détails du lieu de vie, du territoire, des liens aux autres, au rythme des saisons et des événements (https://journals.openedition.org/lectures/64552) . Il n'y a pas véritablement de plan très précis à respecter, d'un ordre des choses préétabli de manière rigoureuse, simplement une conscience du temps et de ce qui est à faire à ce moment là. Kaïros . Cela me rappelle aussi, des lectures anciennes sur "la transmission des savoirs" chez les paludiers dans l’éco-système permaculturel des marais salants de Guérande, un livre de deux autres éthnologues ( Genevieve Delbos et Paul Jorion)( https://www.persee.fr/doc/hom_0439-4216_1985_num_25_96_368631 ), par lequel on comprends que le savoir du métier n'est pas véritablement formalisé dans des techniques et des procédures qui permettent de dérouler une séquence, une action dans le temps pour arriver à un résultat attendu et prévisible, mais procède de l'observation conjointe de "celui qui sait" et de "celui qui apprend",  jour après jour, moment après moment, du ciel, du soleil, du vent... C'est ainsi aussi que l'on procède pour passer du temps souvent programmé, mais dissout dans le rituel,  de la méditation formelle (celle où l'on s'assoie et se pose dans une focalisation de l'attention au mouvement de la respiration) qui est un temps d'apprentissage et d'ancrage de la pratique dans le corps-esprit, afin de le disposer à la pratique informelle de la méditation, qui consiste justement à vivre au présent, dans une présence au présent. C'est ce que j'appelle ici, une approche permaculturelle du temps de l'avenir. Il y a bien un "design" initial, qui est le fruit d'une patiente observation de ce qui est, du lieu, de son développement "naturel" au fil des saisons, pour l'incorporer sous forme de pratiques d'accompagnement qui sont comme une résonnance au fil du présent, de ce qui est à réaliser. Ainsi le présent se développe et se déploie dans une forme de permanence, de durée (selon une vision bergsonnienne) à cultiver. On peut ainsi prenant soin du présent, faire en sorte qu'un avenir s'accomplisse... Mais quel avenir ? sans doute pas celui imaginé, désiré, comme le résultat d'une maitrise des actions et des décisions, mais comme le produit d'une immanence de notre présence au monde par laquelle la vie est « le but de la vie ».

Là, il n'y a pas de "plan du monde futur" ... il y a un monde qui se déploie dans la conjugaison de tous les présents individuels et collectifs qui sont déjà là, qui convergent et divergent en même temps, selon des temporalités décalées ou accordées. La vie se perpétue ainsi dans la succession des mortalités. Si la peur peut être ainsi traversée, sans doute est-ce par le lent renoncement à vouloir pouvoir être maitre du futur. Un futur advient comme la suite du présent, des présents, sa (leur) résultante pour ainsi dire incontrôlable, sinon dans l'attention éthique à la succession des instants, qui produisent l' "être-là".


Est-il possible de toujours vivre le moment présent ? De s'abstraire du passé et de ne pas songer à l'avenir ? Non sans doute, sauf à perdre notre spécificité d'être humain et cette possibilité que nous avons développé de nous projeter dans le temps dans un sens et dans l'autre. De nous souvenir des moments passés et de rêver à demain. Que signifie alors cette sorte d'injonction de du « moment présent » ? Est-ce renoncer à ce qui nous constitue ? Qu'est-ce qu'alors cette intention de se tenir dans la présence au présent ?Lorsque l'on songe que bien souvent nous sommes,  soit à penser au passé, soit à nous projeter dans l'avenir, ayant du mal à être présents à ce que l'on fait, aux autres, à notre environnement proche ; à anticiper ce que l'on va répondre, ou à nous focaliser sur ce que nous éprouvons lorsqu'une personne nous parle, au lieu de l'écouter véritablement, alors peut-on commencer à comprendre cette attention au moment présent. C'est en quelque sorte se tenir sur une  ligne de crète, afin de ne pas ressasser le passé, ni de nous perdre dans des rêveries infinies, des songes d’avenir. Marcher sur la ligne de crète , est une orientation volontaire de la boussole de la vie qui en constitue le chemin d'équilibre. il s'agit d'avancer pas à pas sur ce chemin, un peu comme le pratiquant de Tai-Chi évolue dans la forme. Ce n'est plus l’esprit qui commande le mouvement, mais le corps lui-même dans la succession justement incorporée des gestes  qui la compose. Il y a là un enchaînement, qui pour « automatique »  qu'il apparaisse de l'extérieur comme le geste d'un automate, constitue de l'intérieur une pleine présence à chaque instant de la forme dans son déploiement même.


La forme est dans la présence. La présence est dans la forme.


Cette présence à la forme, tant  à sa source et circulation énergétiques, qu’à  devenir, n'est pas sans rappeler l’approche permaculturelle du flux du vivant. La lente observation du mouvement du vivant s'incorpore alors dans le geste permaculturel qui est un accompagnement d'un devenir cyclique en puissance, une harmonisation du mouvement de la forme s'accomplissant ainsi. Cette présence permaculturelle au présent est ainsi dans son mouvement même d'adéquation au flux du temps, de la vie, une présence à la puissance du devenir. On rejoint là l'idée de "l'agir-non-agir"

Plus encore,  cette approche permaculturelle affirme la prééminence d'un sens du mouvement, qui est aussi le sens de la forme, un choix de vie, un choix de la vie, de sa libre circulation créatrice. À la réitération mortifère des pratiques habituelles du business usuel qui dégrade la terre, à une forme d'impuissance malheureuse à résister à cette dégradation (forte consommatrice de notre énergie vitale), il y a lieu de faire le choix d’agrader la terre.


Une telle éthique du souci du moment présent, telle qu’exposée ici, peut apparaitre comme une abdication à vouloir changer le monde ou du moins sa trajectoire dont on imagine qu'elle nous conduit vers le pire, vers la catastrophe ;  un renoncement à la lutte. Et pourtant elle me semble inscrite dans les étapes même d’un temps en spirale, comme dans la trame même du Travail qui Relie dans cette attention de tout les instants, du changement de cap...

 

 

 

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​© 2018 adapté par Thierry Raffin. Créé avec Wix.com

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